jeudi 12 décembre 2013

100% cachemire" et le délicat sujet de l'adoption : au-delà de la comédie, la réalité des difficultés taboues de l'attachement entre parents et enfants adoptés.

Atlantico : Le nombre d'adoptions internationales en France a encore diminué en 2012 au motif que les procédures seraient de plus en plus compliquées. Pour quelles raisons ? Qu'en est-il de l'adoption nationale ? 

Fanny Cohen-Herlem : Cette baisse de l’adoption internationale en France ne s’explique pas par le fait que les procédures sont plus compliquées, mais parce que les pays d’origine favorisent de plus en plus l’adoption nationale, notamment la Russie, la Chine, ou la Bolivie. A cela s’ajoute le fait que les pays d’origine ont davantage d’exigences concernant leurs conditions d’adoption, se conformant au principe de droit international relatif à l’intérêt supérieur de l’enfant.  
Pour ce qui est de l’adoption nationale, on pense qu’il y a toujours beaucoup d’enfants pupilles. Le nombre d’enfants qui naissent sous le secret reste pour sa part inchangé, entre 500 et 600 enfants par an. Concernant les demandes d’agréments, on en dénombre entre 20 000 et 23 000 actuellement en cours en France, ce qui fait qu’il y a très peu de possibilités pour les couples françaisCeci étant, une réflexion est vraiment engagée au sein du gouvernent et du Conseil supérieur de l’adoption afin de développer l’adoption nationale, et notamment celle d’enfants plus âgés, ou avec des troubles de la santé. La réflexion me paraît plus soutenue donc en ce moment, ce que la loi sur la famille pourrait d’ailleurs illustrer.

Les parents souhaitant adopter sont-ils conscients des difficultés qui les attendent une fois l'enfant arrivé ? Comment les aider à y faire face ? 

Tout dépend des couples ou des célibataires qui peuvent adopter en France et à l’étranger. Ils n’ont pas toujours conscience des difficultés qui les attendent car il s’agit, pour la plupart, de candidats ayant un grand espoir vis-à-vis de leur projet d’adoption, compte tenu des difficultés qu’ils ont pu connaître pour avoir des enfants par la voie naturelle. Pour cette raison, certains d’entre eux ont tendance à minimiser les difficultés inhérentes à ce type de filiation. Ils auraient donc besoin d’un véritable accompagnement.
A ce sujet, je travaille dans une structure qui vient de se créer, Alpa Le Fil d’Or, qui propose, grâce à son comité scientifique et technique, d’accompagner les futurs parents adoptifs une fois leur agrément obtenu, et ce par le biais de groupes de parole, de conférences-débats… L’objectif est de leur faire prendre conscience de que c’est que d’être des parent adoptif.
Aucune structure formalisée à proprement parler n’existe encore. Dans certains pays européens comme la Belgique, les Pays-Bas, ou l’Angleterre, des formations organisées et gérées par l’État sont proposées de façon obligatoire. Ceci n’existe pas en France, où les conseils généraux essayent néanmoins de faire ce qu’ils peuvent avec leurs moyens, de même que les associations de parents adoptifs avec l’aide de professionnels. Il y a aussi les intermédiaires entre les futurs adoptants et les pays d’origine, comme l’Agence française pour l’adoption et l’Organisme autorisé pour l’adoption. Ces structures leur délivrent essentiellement des informations sur les pays où ils vont se rendre pour adopter, ce qui n’a rien à voir avec les préparations proposées dans les autres pays européens.

Stérilité, sentiment de solitude...dans quelle mesure les motivations de l'adoption peuvent-elles alimenter les problèmes futurs avec l'enfant adopté ? 

Ce qui alimente les problèmes futurs, c’est essentiellement le fait de ne pas être au clair avec son projet d’adoption. L’adoption ne doit pas être un pis-aller, ni un geste humanitaire, ni accompli parce qu’on est tout seul et qu’on se réveille à 50 ans en se disant qu’on n’a toujours pas d’enfants.
Le projet d’adoption doit relever d’un véritable désir d’enfant, sentiment assez universel. Les couples ou candidats à l’adoption doivent être au clair avec leur propre histoire ; par exemple, il faut que les couples proclamés stériles aient définitivement renoncé à avoir un enfant biologique, pour éviter que l’enfant adopté soit considéré comme un enfant de substitution.
Il convient également de ne pas accorder trop de place au merveilleux dans ce projet d’adoption car l’enfant adopté reste avant tout un enfant, avec les difficultés que cela pose, et même parfois un peu plus dans la mesure où il s’agit d’enfants avec une histoire parfois chargée, avec laquelle il faut composer.

Comment les parents peuvent-ils et doivent-ils composer avec le passé de l'enfant adopté ? Doit-il être omis, ou au contraire, avoir sa place dans l'histoire familiale ? 

Il doit avoir sa place, c’est-à-dire celle qui lui revient et pas une autre. On ne peut pas faire semblant d’ignorer l’histoire de l’enfant dans la mesure où il en a une. Néanmoins, cette place du passé de l’enfant adopté ne doit pas toujours être mise en avant. Ce qui est important, c’est de construire des liens et une histoire en respectant le fait que cet enfant ait une histoire passée. Ceci a d’ailleurs une incidence sur la construction des nouveaux liens. Quand l’enfant adopté a été abandonné, celui-ci peut avoir peur d’être abandonné à nouveau ; lorsqu’il a été maltraité par ses parents biologiques, celui-ci peut être plus fragilisé vis-à-vis de ses nouveaux parents ; il peut également éprouver un grand besoin de stabilité dans le cas où il est passé de structure en structure…
L’histoire du passé appartient à l’enfant, un peu aux parents, mais c’est véritablement l’enfant qui lui accordera la place qu’il souhaite. En général, les adoptants sont informés du fait de ne pas cacher les choses, bien que la transparence n’ait pas vraiment de sens. Je ne crois pas qu’on ait intérêt à tout dire forcément, mais seulement ce qui paraît être utile pour les enfants, au regard notamment des questions qu’ils peuvent poser. Il convient alors de leur répondre en fonction de leur âge et donc avec les mots appropriés. Il ne faut surtout pas raconter l’histoire et en se disant que c’est fait et qu’on n’en parlera plus.

Que faire lorsque l'enfant adopté rejette, à un moment, sa famille d'adoption ? Qu'est-ce qui engendre une telle situation ? 

Cela dépend à quel âge, et de la manière dont cela se manifeste. La première question que devraient se poser les parents adoptants confrontés à cette situation est celle de savoir ce qui se passe réellement entre eux et leur enfant adopté. Un enfant, comme nous, traverse des périodes qui peuvent être difficiles, notamment à l’adolescence. Celle des enfants adoptés peut d’ailleurs être un peu particulière. Il convient de savoir si les parents sont suffisamment solides pour affronter cette situation de rejet, qui est souvent momentanée.
De même, il convient de se poser la question de la part de responsabilité des parents par rapport à la situation de rejet. Toute la responsabilité de la situation difficile ne doit pas être mise sur le compte de l’adoption et de l’enfant. Le rejet concerne toutes les parties à la situation. S’interroger en tant que parent est donc indispensable.
Ensuite, il faut essayer de comprendre le contexte du rejet : que s’est-il passé dans la vie de l’enfant, dans celle du couple adoptant, dans la famille dans son ensemble…Cette étape visant à faire des liens est indispensable. On peut après s’interroger sur ce qui fait que ça ne va pas dans l’histoire de l’enfant. Lorsque l’on a fait le tour de tout cela, mais que rien n’est résolu, il faut aller voir un professionnel pour éclairer la situation et aider l’enfant en difficulté car cette situation de rejet entraîne de la souffrance chez l’enfant qui rejette.

Quels sont les types de rejets qu’on peut observer de la part des parents, et jusqu’où cela peut-il aller ?

Les types de rejet sont extrêmement variés : cela peut relever du fait que les parents ne supportent plus l’enfant parce qu’il se colle à eux tout le temps, parce qu’il fait des fugues, parce qu’il adopte une attitude provocante à leur égard… La conséquence de tout cela est que, généralement, les parents ne se sentent pas reconnus et aimés en tant que tel.
En France, dans le cadre de l’adoption plénière, le renvoi de l’enfant n’est pas possible car l’enfant n’est pas une marchandise. Aux Etats-Unis, en revanche, cela est tout à fait envisageable. Pour revenir sur le cas français, l’enfant adopté peut éventuellement être confié aux services sociaux français qui sont aussi là pour venir en aide aux familles françaises en difficulté avec leurs enfants adoptés. Tout un travail est alors fait entre l’enfant et les parents pour recréer le lien.

Comment penser l'assimilation de l'enfant adopté à la cellule familiale, et plus largement à la société du pays d'accueil ? 

Je parlerais davantage d’intégration. Celle-ci doit bien évidemment être pensée comme une intégration de long terme, pour toute la vie. Dans le meilleur des cas, l’enfant adopté a été pensé et rêvé par le couple et toute la famille. A cet égard, une place au sein de la structure du couple ou de la famille lui a été faite à son arrivée.
Parce que la situation réelle peut être différente de ce qui a été pensé et rêvé par la structure adoptante, il convient de faire preuve d’une certaine souplesse dans le cadre de cette adaptation réciproque. Trouver sa place dans une famille constituée demande une certaine souplesse psychique, une certaine adaptabilité. C’est pourquoi la rigidité fait partie des principales contre-indications à l’adoption.
L’intégration progressive de l’enfant adopté dans la structure familiale adoptante est ce qui permet l’assimilation sociale.

Propos recueillis par Thomas Sila-ATLANTICO

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