lundi 19 novembre 2012

ECHAPPER AUX MIRROIRS...

Je m’appelle A… et je suis née en 1985, à Séoul dont je n’ai aucun souvenir. J’ai été adoptée très tôt, à l’âge de six mois, tout comme mon frère qui est venu agrandir la famille quelques années plus tard. Nous n’avons jamais cessés d’être aimés et choyés par mes parents et les liens qui nous unissent sont nos racines. Notre vie d’ « adoptés » aurait pu s’écouler paisiblement dans cet oasis de bonheur créé par nos parents mais c’était sans compter sur la bêtise de l’extérieur. Je fais une parenthèse pour souligner combien le film "Couleur de peau miel " est important pour enfin mettre en image et en mots un mal être si difficile à décrire". Comme on peut le lire dans la BD ou le voir, la différence vient toujours du regard de l'autre. 

Sans le vouloir, nous formions une famille étincelante de couleurs où se mêlaient l’or, le bleu, le vert, l’ébène, le lait et le miel, mélange trop détonnant aux yeux de certains qui se sont toujours plu à nous agresser perpétuellement de ces questions pesantes et déplacées :« Ils sont vraiment frère et sœur ? », « Ce ne sont pas vos vrais enfants, alors ? », « Ce n’est pas trop dur de les élever ? », « Combien tes parents ont-ils payé pour t’avoir ? « , « Ah bah c’est sûr, ils ne vous ressemblent pas ! »…Aujourd’hui, je me dis que les racines qui nous rattachent à nos parents ont été bien solides face à la vague de la sottise humaine. 
Et encore, ces questions n’étaient rien face aux réactions primaires des autres enfants. L’insulte fatidique de « chinetoque », les sobriquets malvenus et puants comme le célèbre « bol de riz » et l’image relayée par les films et les séries américanisées des asiatiques stupides et serviles n’ont fait qu’attiser en moi le dégoût et le rejet de mes origines coréennes. A quoi bon préciser à un autre enfant qu’on n’est pas chinoise mais "française, d’origine coréenne" ? Jusqu’à la coupe du monde de football, la Corée n’évoquait pas grand chose dans l’imaginaire des gens et ne semblait même pas avoir une place sur la carte du monde. Avoir les yeux bridés, le nez plat et les cheveux noirs vous condamnait à être irrémédiablement chinois et source de moqueries. Et les souvenirs reviennent ça et là de maladresses impardonnables de la part des adultes à mes yeux d’enfant. Comment excuser l’institutrice qui n’a pas su résister à l’envie de prononcer mon prénom coréen ? Grâce à elle, Hyun-hee est devenu Winnie et l’enfer de la différence a commencé et les surnoms de plus en plus cruels se sont succédés : des grands classiques à l’humiliant « papillon blanc » ou « Tching tchong » qu’on me hurlait aux oreilles, comme si j’étais incapable de saisir un seul mot de français du fait de mon physique. J’ai donc pris le parti de raser les murs, de fuir les miroirs où je ne me reconnaissais plus et de ployer le dos sous les insultes pour ne le relever que dans certains accès de violence. 
Passer une journée sans se faire insulter devenait alors une victoire sinon je fomentais dans ma tête des répliques bouillonnantes et cinglantes, me promettant de les expulser à la tête du prochain assaillant mais les mots restaient au fond de ma gorge. A la différence, E…, mon frère, semblait accepter les insultes et se faisait des amis tout en développant une personnalité vive et solaire ce qui me mettait dans une profonde colère. Comment pouvait-il accepter ce compromis ? A l’adolescence, mon apparence physique est alors devenue un véritable handicap doublé d’une maladresse insupportable alors que mon frère apprivoisait de plus en plus son corps par le karaté et le hip-hop. Engoncée dans le mien, et objet facile de la moquerie des autres, la solitude n’a fait qu’empirer. Pour moi, il n’y avait qu’une seule explication possible : ce physique impardonnable qui signalait sans cesse des racines différentes, étrangères et inconnues. 
Malgré la rencontre avec M… un peu plus tard au lycée qui elle aussi avait été adoptée et le partage de nos souffrances, cette volonté de disparaître n’a fait qu’empirer et a bien failli me coûter la vie. 

Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai compris que j’avais finalement réussi à atteindre mon but lorsqu’une étudiante en hypokhâgne m’a dit : « Comment, tu es dans la même classe que moi ? Mais tu dois vraiment être très discrète parce que je ne t’ai jamais remarquée ». La rentrée avait eu lieu un mois auparavant et nous n’étions que quarante…Cet électrochoc m’a fait sortir de cette torpeur dans laquelle je m’étais installée depuis si longtemps et j’ai entamé de nombreux virages : moi qui n’aimait pas parler en public, j’ai décidé de briser ce mutisme en bouleversant l’avenir. Adieu la tranquillité des bibliothèques, derrière les livres qui m’avaient toujours protégée et permis de m’évader, à moi l’enseignement, et pas n’importe lequel : celui du français à des classes bondées et pas toujours très motivées ! Et les électrochocs ont suivis : des rencontres avec des coréens qui s’adressent à moi en prononçant « anianghaseyo » mais aussi avec des amoureux de l’Asie qui trouve en moi une enveloppe bien vide et bien ignorante de ce continent sans cesse rejeté. Et là, les aberrations me sautent aux yeux : grâce à la lecture, j’en connais plus sur l’histoire de la Chine ou la culture japonaise que sur la Corée. Pendant longtemps, ce petit pays n’a rien évoqué d’autres que la scission au niveau du 38ème parallèle, pourtant, ce n’est pas sans l’énergie de nos parents qui n’ont jamais cessé de s’intéresser et de nous faire connaître notre pays d’origine où ils ont fini par nous emmener en 2010. 
Mais cet extraordinaire voyage est une autre histoire et je peux simplement dire que grâce à lui, le reflet dans le miroir me semble plus familier et le regard des autres glisse et n’étouffe plus. (Texte de KIM CHI - site en quête de soi)

11 commentaires:

  1. saisissant et merveilleux témoignage. Merci. Isabelle maman de Pauline et Chamsouk-Ruben

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  2. Bonjour,
    Merci pour partager ce témoignage difficile et émouvant. Je ne connaissais pas ce site mais je vais m'empresser de le découvrir. Ma fille Majdouline à 8 ans et est originaire de Chine. Je reconnais dans ce témoignage certaines de ces réflexions ( elle ne se trouve pas jolie, n'aime pas ses petits yeux !!!) Elle a du mal à répondre à ceux qui l'appelle la chinoise et je me sens assez démunie pour l'aider à trouver des arguments ... elle trouve que mes mots sont des mots de grands... Elle m'a dit confié récemment que même si elle nous aime très fort, quelque fois elle a honte lorsqu'on l'accompagne à l'école car alors les autres voient qu'elle est adoptée et elle se sent différente ce qui la fait souffrir !!! Pas facile tout ça ...
    Votre blog est un vrai plaisir pour les yeux.
    Amicalement de Rennes
    Lydia

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  3. Bonjour Lydia,
    c'est vrai que ce témoignage est tres beau.... sa différence deviendra peut etre une force. Peut etre pouvez vous lui lire ce texte, elle s'y retrouvera peut être...Je vois que vous etes de Rennes, si un jours, vous voulez participer a mon projet photo, n'hesitez pas...Géraldine

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    1. Bonjour géraldine, ça me tente beaucoup... il faut juste réussir à trouver un créneau... Je garde ça en tête et vous reprendrai contact lorsqu'un déplacement sur Nantes se profilera :)
      Très bonne journée,
      Lydia

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  4. Tres beau témoignage!!!

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  5. Merci pour ce partage de vécu et merci pour vos belles photos de famille ;-)
    Françoise et sa petite famille du Vietnam et de Madagascar

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  6. Merci d'avoir publié ce témoignage, et merci de nous faire partager vos superbles photos de votre magnifique famille ;-)
    Françoise et ses enfants du Vietnam et de Madagascar

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  7. Trés beau témoignage et trés emouvant. Il est vrai que certaines personnes ont des réactions stupides. En lisant ce texte, une reflexion "idiote" d'un client est revenue. Ce jour là, j'étais heureuse que Léna ne soit pas à mes cotés. Il a osé me dire que ma fille était une enfant d'occasion. Cette parole est sortie tout droit de la bouche d'un adulte. C'est triste d'en arriver là!!!

    Karine Maman de Léna-Huyen

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    1. Et oui karine, c'est vrai que les réflexions ne sont pas toujours de tres bon goût ...

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  8. Bonjour, je surfais par hasard sur le net et je viens de tomber sur... mon texte. En vous souhaitant tout plein de courage et de bonheur.

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