mardi 27 novembre 2012

c'est elle ma fille !

Encore un tres beau témoignage, d'une femme adoptée, Patricia.

Le 15 juillet 2012, elle m’a quittée – elle nous a quittés – la mère qui s’était exclamée trente six années plus tôt, derrière les vitres de l’aéroport de Roissy Charles de Gaulle, « c’est elle ma fille ! » en me montrant du doigt lorsque je suis descendue de l’avion dans les bras d’une nonne. Je n’étais pourtant pas le seul poupon de Corée, mais elle le savait … J’ignore comment, elle savait que c’était moi. Le sixième sens et l’instinct d’une mère ne sont donc pas un mythe et n’appartiennent pas qu’aux femmes qui enfantent.
Tout comme lors de ces derniers moments et après des semaines et des semaines de souffrance, de bataille contre la mort (ou plutôt pour la vie), alors que nous n’imaginions même plus qu’elle puisse être consciente et comprendre compte tenu du mal qui la rongeait, elle a décidé du moment où elle se laisserait partir. Elle attendait son fils, mon frère, qui a parcouru 8.000 kilomètres en urgence pour lui dire « au revoir ». Elle nous a quittés le lendemain de sa visite.

Je m’appelle Patricia et je suis née en Corée du Sud – à Séoul (Ahn Dong) plus précisément – il y a bientôt trente sept ans. Je suis arrivée en France à six mois avec ce petit bracelet en plastique autour de mon poignet sur lequel était inscrit « Jung Sook Ja ». Mon père doit encore l’avoir dans le tiroir du buffet, à côté de celui de mon frère « Nguyen Van Tien ». Mon père était allé chercher mon frère à Saigon (Hô-Chi-Minh-Ville aujourd’hui) alors qu’il avait dix huit mois, son petit caractère déjà bien trempé et ses traumatismes liés aux conflits qui faisaient rage dans le pays à cette époque.
Mon frère a vu arriver cette nouvelle petite sœur non sans une once de jalousie. Qui étais-je pour venir troubler sa belle vie tranquille d’enfant unique qui a duré près d’un an et demi !? Sont arrivés avec moi les fameux pipis au lit du grand frère, tout comme dans une famille « normale ».

Je pourrai être tentée de dire que nous sommes comme n’importe quelle autre famille – enfants adoptés ou enfants conçus – mais ce n’est pas tout à fait vrai. Je suis sincèrement convaincue que si l’amour qui nous est porté, l’éducation qui nous est donnée, les obstacles de la vie auxquels nous sommes confrontés peuvent être identiques, notre personnalité et notre façon de les appréhender en tant qu’enfants adoptés sont très différentes, tout comme ces traits de caractère récurrents et « anormalement » développés que l’on retrouve chez nous : le besoin et la quête d’amour, la soif de reconnaissance, la solitude et l’indépendance (pour se préserver ?), le manque d’assurance ou au contraire trop d’assurance pour cacher ce manque, la peur de ne jamais être à la hauteur, la recherche de soi qui développe souvent en nous la sensibilité, le côté artistique et l’envie de créer. Tous ces traits communs liés à une seule angoisse … l’angoisse d’être abandonné de nouveau.

Si mon frère a eu une personnalité rebelle et un caractère très fort face à l’éducation extrêmement stricte de nos parents, j’ai toujours été la petite fille sage, effacée et très obéissante qui ne cherchait qu’à plaire. Et cela m’a suivi toute ma vie, maintenant encore …

Je ne vais pas vous raconter toute me vie bien sûr, car je ne me souviens pas de tout et car je pense que rapporter des anecdotes de vie particulières sont bien plus parlantes :

On m’a dit – par exemple – qu’à l’âge de la maternelle, au moment de me présenter en classe, je clamais haut et fort, fièrement « je m’appelle Patricia M….. de Corée ». Enfant fantasque, je m’étais déjà inventée une particule noble et un nom pour mettre en avant mes origines lointaines. C’est assez curieux et comique lorsqu’on sait que cela n’a duré que le temps de ma petite enfance. Ce dont je me souviens ensuite, c’est plutôt du rejet de ce pays qui m’avait lui-même rejeté auparavant et qui a duré une bonne partie de ma vie.

Il y a eu aussi l’inquiétude de mes parents : à l’âge où un enfant commence à balbutier ses premiers mots, rien ne sortait de ma bouche. Après une visite chez un pédiatre, il a rassuré mes parents « ne vous inquiétez pas, elle ne dit rien mais observe et comprend tout ce qui se passe autour d’elle. Soyez patients ! ». Je me suis décidée à bavarder à l’âge de deux ans et je me suis mise à parler … comme une enfant de mon âge, sans aucun retard, avec ce léger accent asiatique chantant qui n’a duré qu’une quinzaine de jours. Preuve que la mémoire intra-utérine n’est probablement pas une légende.
Je me souviens du commentaire de ma maîtresse de CE1 – Madame M… – qui discutait avec mes parents « Patricia est une vraie tête de linotte, elle est tout le temps dans les nuages et pourtant elle a d’excellents résultats. Je me demande comment elle arrive à suivre ! ». Et les mêmes remarques sur mes bulletins scolaires « très bon travail mais effacée », « trop réservée » , … etc
J’ai toujours été une enfant très sensible, extrêmement timide, la tête perpétuellement dans les nuages et passant son temps très prématurément à dévorer des livres de contes, à dessiner, créer ou à trouver du réconfort auprès de mes chiens. Mon grand père paternel m’appelait d’ailleurs « pleine lune » pour ma bouille joufflue et certainement pour ce côté rêveur. Je m’isolais dans mon monde car l’autre – le vrai – me faisait peur : affronter les moqueries, ma différence, les regards insistants et cruels de mes camarades en particulier à la période délicate de l’adolescence, fut difficilement supportable pour moi. Affronter mon reflet dans le miroir – que je détestais – car je me sentais si peu asiatique et c’était pourtant l’image qu’il me renvoyait … En conséquence, ma personnalité s’en est trouvée totalement « atrophiée » et a causé l’incompréhension de mes parents. J’ai coupé toute communication avec l’extérieur – eux y compris – et c’est la raison pour laquelle mon côté solitaire et taciturne a pris une place bien trop importante et ne m’a jamais réellement quitté. J’en ai beaucoup souffert. Je passe encore mon temps non plus à lire mais à écrire, à dessiner ou à trouver de l’affection auprès de mes animaux lorsque j’ai besoin d’exprimer des choses que je suis incapable d’exprimer autrement, car la communication n’a jamais été le fort de notre famille, même si l’amour était bien présent. La différence est que je l’aborde avec plus de sérénité et comme un moyen de m’analyser, de me (re)construire, comme une thérapie. J’en ai fait une force. MA force et ce qui me particularise.

Si – dans le passé – la méchanceté, les réflexions désagréables, les regards, la bêtise des personnes me criant « ni hao » dans la rue alors que je ne suis pas chinoise, m’irritaient profondément et me blessaient, cela me fait sourire à présent et m’inspire de la pitié. De la pitié pour ces personnes incultes et ignorantes qui limitent l’Asie à la Chine ou au Japon (voire à la Thaïlande et au Vietnam depuis seulement une quinzaine d’années) et qui ne connaissent rien au monde, quelque fois même rien à leur propre pays. C’est affligeant mais le monde est ainsi fait et les guerres et conflits sont souvent issus de cette même constatation.
Une amie de mes parents a osé dire à ma mère un jour, sans méchanceté aucune « mais comment faites-vous pour aimer des enfants qui ne sont pas les vôtres ? ». Encore un exemple de l’ignorance humaine !
Mon propre grand-père paternel, les larmes aux yeux, disaient de nous « ce ne sont pourtant pas mes petits-enfants de sang mais ceux qui sont le plus proches de nous aujourd’hui ». C’est tellement beau et tellement dur en même temps !
Comment leur en vouloir ? A quoi sert le ressentiment si ce n’est s’enfoncer dans un état qui ressemblera au leur un jour ?

Inconsciemment je n’ai jamais été attirée par l’Asie et certainement aussi pour les raisons déjà abordées plus haut (Mais ça je ne l’ai compris que bien plus tard). Je rêvais plutôt des Etats Unis ou de l’Australie (mon premier grand voyage, mon sac sur le dos et … en solitaire bien sûr à un peu moins de dix huit ans). Puis un jour, à une trentaine d’années, j’ai décidé de faire un voyage en Indonésie : à Bali attirée par le côté paradisiaque de l’île et à Djakarta pour rendre visite un ami qui y travaillait. Etait-ce l’ironie du sort ? Le billet le plus économique que j’aie pu trouver était affrété par la Korean Airline. J’ai fait mon premier voyage en Asie avec la compagnie aérienne de mon pays natal et fait escale … à Séoul ! Dans l’année qui a suivi, je suis allée au Cambodge, puis au Japon.
Oui, je me suis réconciliée avec l’Asie !

Je me souviens lors de mon escale à l’aéroport de Séoul, il y avait un espace où l’on pouvait essayer l’habit traditionnel coréen. Je n’ai pas osé franchir cette étape pleine de significations à l’aller, trop timide et peureuse même si cela peut paraître ridicule. Je l’ai franchie au retour, tout comme j’ai essayé de m’imprégner du peu que j’ai pu capter de ce pays à travers deux fois trois heures de déambulation dans son aéroport.

Aujourd’hui après de dures épreuves qui m’ont fragilisée au départ – cette introversion et ce mal-être, ce manque d’assurance et ce perpétuel besoin de reconnaissance, cette peur de ne pas être à la hauteur, cette souffrance de voir ma mère atteinte d’une maladie neurologique incurable qui l’a amenuisée physiquement pendant vingt cinq années, puis mentalement pendant douze années, cette impression de me chercher encore aujourd’hui, … etc – puis rendue plus forte, j’essaie de vivre pour moi et surtout de comprendre cette angoisse qui me hante.

Je n’ai trouvé d’oreilles attentives et de compréhension qu’auprès d’autres adoptés. Cela n’a fait que me réconforter dans l’idée que nous, enfants adoptés, sommes à part et vivons des choses qui nous sont propres. Comme je l’ai souligné plus haut, je suis intimement persuadée que « notre personnalité et notre façon d’appréhender les épreuves de la vie en tant qu’enfants adoptés sont très différentes des autres par rapport à notre vécu et la façon dont a débuté notre vie ».

Je terminerai en rendant hommage à ma Maman (« mia Mamma »), une maman qui nous a éduqués durement jusqu’à la fin de notre adolescence et qui – une fois qu’elle a su que son « travail » était achevé et portait ses fruits – est devenue ensuite une tendre maman, une crème de maman.

« Un angelo è volato in cielo ...

Addio cara, dolce Mamma

Ti amo forte forte »

5 commentaires:

  1. C'est beau :-)
    Bizz Laure
    http://ptitesphotosdelolo.blogspot.fr/

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  2. c'est extrêmement touchant... merci de partager ces textes qui nous en apprennent tellement sur nos enfants...

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  3. Très émue par ce témoignage merci de l'avoir partagé!!!segolene

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  4. Magnifique témoignage, merci de nous l'avoir donné à découvrir
    Bon weekend
    Bises
    Françoise

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